Concrètement, l’émerveillement est une expérience qui suscite d’abord un étonnement, puis des émotions positives plus ou moins intenses ainsi qu’un travail de la pensée. Michael Edwards parle d’un étonnement avec « un surcroît de sens » (De l’émerveillement, Fayard, 2013, p.94). L’émerveillement, dit-il aussi, est « une porte qui s’ouvre » (idem, p.186).
Qu’il porte sur des personnes, des phénomènes naturels ou des créations humaines, sur l’infiniment petit ou l’infiniment grand, l’émerveillement se produit face à un événement que l’on n’attendait pas précisément. D’une certaine manière il se rapproche ainsi de la sérendipité.
Pour percevoir cet événement, encore faut-il adopter un certain état d’esprit, faire le pari que quelque chose de beau, de nouveau, d’intéressant, d’intelligent, d’efficace peut survenir fortuitement dans le chaos, la routine, le connu. L’émerveillement, c’est laisser entrer l’extra-ordinaire dans le traintrain de notre quotidien professionnel. Encore faut-il le vouloir et c’est là que les choses se compliquent plus ou moins selon les personnes et les contextes professionnels : Cet état d’esprit suppose en particulier :
- De ne pas chercher à tout contrôler
- De ne pas vouloir tout prévoir, d’admettre l’inattendu, l’imprévu, se laisser surprendre
- D’être capable d’humilité (loin d’une mauvaise estime de soi, l’humilité consiste à avoir une perception juste de ses faiblesses mais aussi ses forces; c’est le contraire de l’orgueil).
- D’être présent à ce qui se passe, réellement attentif, à l’écoute (l’émerveillement peut être déclenché par des événements très fugaces : un sourire, un geste, un rayon de soleil, etc.).
- D’écouter ses émotions.
- D’accepter d’être changé (l’émerveillement peut être un bouleversement et même moins intense il peut nous amener à agrandir, élargir, enrichir notre système de représentations)
On devine l’intérêt d’une telle attitude pour accompagner les changements, les transformations que vivent les personnes et les organisations: elle autorise le mouvement et l’idée qu’une nouveauté n’est pas nécessairement mauvaise ou menaçante, qu’il peut s’y cacher du beau, de l’utile, du profitable. L’état d’esprit que suppose l’émerveillement se rapproche d’ailleurs fortement de ce que l’on attend aussi aujourd’hui de leaders, d’un état d’esprit positif qui donne envie et qui emmène avec soi.
Soyons clairs: l’émerveillement ne consiste pas à nier la dureté du monde, dans une version ripolinée de la simpliste “pensée positive”. Il accorde justement à cause d’elle et de ses conséquences pénibles, beaucoup de valeur à la beauté et à tout ce qui suscite en nous des émotions positives, qui permettent de ré-équilibrer un peu notre état interne en lui évitant de se concentrer uniquement sur le négatif. L’émerveillement ne prétend pas répondre à tous les besoins et ne dispense pas de traiter les sources d’émotions négatives. Il nous fournit l’énergie nécessaire pour le faire en nous rendant sensible à la saveur, à l’esthétique des événements. C’est une fenêtre qui s’ouvre sur un jardin et probablement rien de plus mais en même temps, n’est-ce pas essentiel ?
Les jardiniers de l’émerveillement
L’émerveillement, parce qu’il est l’une des premières capacités que nous perdons dans l’enfance, parce qu’il peut être malmené par les aléas de la vie, se cultive comme une plante délicate: avec soin.
Et cultiver l’émerveillement, c’est mettre en valeur des talents, des comportements, des accomplissements, des événements, comme je jardinier met en valeur un sol. C’est un travail qui s’inscrit dans la durée et qui nécessite un certain nombre d’étapes : débroussailler, préparer, semer, arroser, récolter … Ce qui est certain, c’est qu’ «il y a des fleurs partout pour qui veut bien les voir » disait Henri Matisse.
Cultiver l’émerveillement, c’est d’abord un choix tant l’entreprise semble l’ignorer. Le choix de semer des graines dans les environnements les plus improbables et de les regarder grandir. Le choix d’expérimenter en imaginant puis en constatant les effets positifs de l’émerveillement. En réalisant aussi que renoncer à l’émerveillement consiste parfois à se protéger mais également à se résoudre à l’ennui, à la perte de sens, au désenchantement. Cultiver l’émerveillement, l’air de rien, c’est aussi bien souvent transformer peu à peu sa vie.
Mais la réussite du jardin tient avant tout aux choix du jardinier en termes de plantes et fleurs à semer, à mettre en terre, à nourrir et entretenir, et lui seul peu le faire. Si l’on peut faire des suggestions, en mode Truffaut de l’émerveillement au travail qui met à disposition tout un choix de végétaux, ce jardin est le vôtre: inventez-le au gré de votre inspiration et de vos propres sources d’émerveillement.
- Avoir envie d’expérimenter
L’émerveillement suppose une attitude qui n’est pas toujours la plus spontanée dans les organisations. Malgré tout, c’est un choix que l’on peut faire en prenant conscience de ses effets positifs. En réalisant aussi que renoncer à l’émerveillement consiste d’une à se résoudre à l’ennui, à la perte de sens, au désenchantement. A générer des zones d’ombre sur ce qui est source d’énergie positive. En acceptant que chaque fois que nous nous enthousiasmons d’une réussite professionnelle, d’un projet mené à bien, c’est une forme d’émerveillement. Et que ça fait du bien ;)
- Adopter un vocabulaire riche et varié
De même que le cultivateur choisit des outils appropriés à chaque tâche, le cultivateur d’émerveillement a besoin d’outils spécifiques. Comme toute émotion, l’émerveillement s’exprime par un vocabulaire adapté. Un lexique varié, reflet des nuances de l’émotion positive qui nous saisit permet d’élargir le champs de l’expérience, d’en mesurer la richesse et de la partager dans toutes ses tonalités.
Les mots que nous utilisons ont en effet un lien intime avec le regard que nous portons sur le monde : «Les limites de mon langage signifient les limites de mon propre monde », dit L. Wittgenstein (Tractatus logico-philosophicus, 1922). Enrichir notre vocabulaire avec de nouveaux champs lexicaux nous permet ainsi de modifier notre rapport au monde. C’est aussi probablement la meilleure façon d’inviter en douceur les autres à développer cette attitude. J’ai été agréablement surpris par…, j’ai découvert avec beaucoup d’intérêt que…, j’ai eu une surprise agréable en …, j’ai ressenti une grande joie en voyant que …
- Débrancher momentanément téléphones, tablettes et écrans
La capacité à s’émerveiller passe avant tout par l’aptitude à être dans le présent, de façon à pouvoir en saisir les aspects dignes d’émerveillement. Choisir de débrancher, le temps d’un rendez-vous, d’une réunion, d’un trajet, pour ouvrir grand ses yeux, ses oreilles, ses narines, permet de laisser une chance à l’émerveillement d’éclore. Difficile en effet d’être émerveillés lorsque nous ne sommes pas attentifs à ce qui se passe.
S’émerveiller permet ainsi de recréer du lien et de sortir, ne serait-ce que momentanément, de ce sentiment largement répandu d’accélération du temps, de tourbillon existentiel, afin de goûter la lenteur du monde et d’en savourer les détails que notre attention habituellement sur-sollicitée choisit d’ignorer.
- Bousculer ses habitudes
Remettre de l’extra-ordinaire dans la routine, bousculer ses habitudes, sortir des sentiers battus sont autant de moyens de faire entrer l’émerveillement dans nos vies – personnelles comme professionnelles d’ailleurs – Cette recommandation fréquente pour développer la créativité se prête tout à fait à l’entrainement à l’émerveillement.
- Changer de trajet pour se rendre au boulot, ou de moyen de transport
- Tester une nouvelle méthode
- Modifier son organisation
Tout ce qui peut ouvrir la porte à la nouveauté, au changement de perception est propice à la sérenité… émerveillée.
- Regarder d’un œil neuf
Observer un itinéraire, un environnement, une façon de faire, une personne, un comportement comme si c’était la première fois. Peut-être en étant réellement attentif à ses sensations auditives, olfactives, visuelles, ….Y chercher des sources d’étonnement, de curiosité, d’émotion positive et se dire que « le voyage de la découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages mais à voir les choses différemment » (Marcel Proust).
- Chercher le bénéfice inattendu d’une situation apparemment négative
Un projet qui échoue, des problèmes relationnels, etc. Les situations plus ou moins pénibles ne manquent pas au quotidien.
S’entrainer à :
- Considérer ces obstacles, ces difficultés, ces épreuves comme des tremplins, des sources d’apprentissage, des opportunités d’amélioration.
- Repérer ce que ces situations difficiles nous obligent à mobiliser comme ressources nouvelles ou déjà existences, nous permettent d’apprendre sur nous, sur les autres, …
Tout cela favorise l’apprentissage, les progrès et la résilience. Fait de manière collective, c’est aussi un moyen de renforcer les liens (plutôt que d’augmenter la méfiance en pointant du doigt), de rebondir ensemble.
- Le carnet d’émerveillement
Noter au fil des jours, dans un carnet d’émerveillement, les graines semées et les résultats observés, sans excès d’évaluation :« Ne juge pas la journée en fonction de la récolte du soir mais d’après les graines que tu as semées », disait Robert Louis Stevenson.
Il peut aussi s’agir de (re)développer l’humour, le rire, la bonne humeur en perdition dans la morosité ambiante – on rit environ 4 fois moins qu’il y a un demi-siècle, alors que se poiler a des vertus autant sur le bien-être personnel que sur la relation. Le rire: remède universel !!
- Engranger les vitamines mentales
Les vitamines mentales sont des particules de plaisir et de joie, réjouissantes et énergisantes, présentes partout autour de nous et facilement accessibles. Particules de joie présentes tout autour de nous, les vitamines mentales sont de l’émerveillement concentré qui ne dit pas son nom. Elles sont facilement accessibles à qui décide d’ouvrir les yeux (les oreilles et les autres sens;) et de savourer pleinement les micro sources de plaisir qui nourrissent l’âme d’émotions positives, pour en tirer une énergie motrice qui sera utile dans toutes les situations.
{Source de cette liste – avec quelques ajouts personnels : M.B. Rosenberg, Les Mots sont des fenêtres, ou bien ce sont des murs}